Présentation
Umineko no Naku Koro ni (うみねこのなく頃に ou littéralement « Quand les Goélands/Mouettes Pleurent ») est une série de doujin game de type Visual Novel produite et éditée par le cercle amateur 07th Expansion et écrite par Ryūkishi07. Bien que le jeu appartienne au genre du Visual Novel, il est décrit comme un Sound Novel par 07th Expansion. Publié sur PC le 17 août 2007, lors du Comiket 72, le premier jeu intitulé Legend of the Golden Witch prélude à une série qui s’achèvera le 31 décembre 2010, lors du Comiket 79, sur le huitième épisode intitulé Twilight of the Golden Witch. La série s’est par ailleurs déclinée sous plusieurs formes dont le manga, le roman, l’anime et le Drama CD.
Précédé par Higurashi no Naku Koro ni et Higurashi no Naku Koro ni Kai, Umineko no Naku Koro ni est le troisième titre de la série. Il est également bon et nécessaire de préciser que, à l’instar d’Higurashi no Naku Koro ni, les huit épisodes qui composent Umineko sont divisés en deux titres de quatre épisodes chacun : Umineko no Naku Koro ni et Umineko no Naku Koro ni Chiru (うみねこのなく頃に散 ou littéralement « Quand les Goélands/Mouettes Pleurent : Dispersion »). En effet, les quatre premiers épisodes présentent le décor et introduisent le joueur aux mystères des meurtres commis sur l’île Rokkenjima et de la légende de la sorcière d’or ; de la même manière que les quatre premiers épisodes d’Higurashi, le joueur est confronté à de nombreux mystères et peu de réponses lui sont données ce qui l’oblige à forger ses propres théories. La seconde partie plonge au cœur des mystères, apporte des éléments de réponses aux questions levées dans les quatre premiers épisodes et continue l’histoire mais, à la différence d’Higurashi qui apportait des réponses, Chiru ne prodigue ici que des faisceaux d’indices sans jamais donner une réponse nette et précise aux grandes questions de l’œuvre. Il appartiendra donc au joueur seul de se faire une idée et tirer les bonnes conclusions.
Umineko no Naku Koro ni est un Visual Novel linéaire que l’on qualifiera de « passif », c’est-à-dire que le jeu se présentera principalement comme une suite de fenêtres de dialogues textuels où le joueur ne sera quasiment jamais sollicité, à l’exception du huitième épisode, et où chaque épisode est la suite du précédent, exit donc la narration dans un désordre chronologique. L’œuvre appartient à la littérature postmoderne et s’inscrit dans une pluralité de genres : romans policier, à suspense, fantastique, d’horreur, du thriller psychologique, à mystère, dramatique et « métafictif » saupoudrée de splatterpunk.
Histoire
En octobre 1986, la richissime famille Ushiromiya se réunit, comme chaque année, sur l’île de Rokkenjima, demeure du patriarche Kinzo Ushiromiya. Cette année est cependant particulière. En effet, Nanjo, le médecin de famille annonce qu’il ne reste plus que trois mois à vivre au patriarche. Cette réunion annuelle se déroulera alors sous le signe de la négociation du partage de l’héritage ainsi que sur l’élection du prochain chef de famille. En plus de la famille Ushiromiya, l’île est également habitée par quelques membres du personnel ainsi que Nanjo, portant le nombre d’habitants présents sur l’île à dix-huit personnes. Peu de temps après l’arrivée des membres de la famille, un typhon se déclare et isole l’île du reste du monde. L’île coupée de la civilisation, survient une étrange série d’événements et les morts se succèdent de façon inexplicable. Les meurtres sont alors imputés à la légendaire sorcière Béatrice (prononcé à l’italienne Béatritché), que l’on dit être la seconde maîtresse des lieux.
L’histoire nous est initialement contée au travers du personnage de Battler Ushiromiya, l’un des petits-fils de Kinzo. De par son rationalisme, il s’oppose de facto au caractère apparemment inexplicable des événements étranges qui frappent Rokkenjima ce qui ne manquera pas de susciter l’intérêt de Béatrice, principale antagoniste de l’histoire. De là, Battler et Béatrice se livreront un duel sous la forme d’un jeu où l’un devra prouver que les événements, qui se sont déroulés entre 4 et 5 octobre 1986, sont l’œuvre d’un ou des êtres humains et que tout peut être expliqué par la logique ; l’autre devra persuader son adversaire que tous ces meurtres sont dus à des événements surnaturels et par conséquent impossibles pour un humain.
L’objectif du jeu consiste donc à déterminer si les meurtres sont l’œuvre d’une entité surnaturelle ou d’un être humain ce qui donne lieu à duel métaphorique entre le roman policier/de mystère et le roman fantastique.
...あぁ、駄目だ全然駄目だ - Aa, dame da zenzen dame da
Umineko no Naku Koro ni est une véritable lettre d’amour, une ode au genre du roman d’enquête. Ryūkishi07 le transcende ici en incorporant des caractéristiques issues d’autres genres et rend hommage à ses muses. On pensera naturellement à Agatha Christie. Comme dit plus haut, l’œuvre opte pour une diégèse linéaire, il est ainsi simple de suivre le déroulement des événements. L’œuvre se veut également passive en ne sollicitant le joueur qu’à quelques rares moments. À titre de comparaison, des visual novels considérés comme actifs sont par exemple la série des Ace Attorney, Corpse Party, Zero Escape ou encore BlazBlue. Néanmoins, que l’œuvre soit passive n’implique absolument pas que le joueur soit inactif. En effet, Ryūkishi07, de la même manière que Béatrice, met au défi le joueur, l’invite à réfléchir, à émettre des hypothèses, à s’interroger si bien que le récit se transforme en une gymnastique mentale pour tout lecteur qui se prête à l’exercice. À vrai dire, le lecteur qui ne joue pas le jeu passe littéralement à côté de cette aventure quand bien même celle-ci reste appréciable, riche et incroyablement profonde.
Il incombera au joueur d’essayer de répondre à trois grandes questions tout au long des huit épisodes qui émaillent l’œuvre. Premièrement déchiffrer l’épitaphe, inscrite sous le tableau représentant Béatrice, donnant les coordonnées où se situe le fameux trésor du patriarche, trésor offert par Béatrice et dont la valeur s’élève à quelque dix milliards de yens. Autant vous le dire tout de suite, il vous sera pratiquement impossible de résoudre cette énigme. Même parmi les Japonais, pratiquement aucun d’entre eux n’a été capable d’y répondre, la faute à des jeux de mots subtils tant sémantiquement que graphiquement. Une connaissance profonde des kanjis est nécessaire pour comprendre les arcanes de cette énigme.
Deuxièmement résoudre l’enquête et déterminer qui est le coupable de cette série de meurtres. Encore une fois un exercice loin d’être une sinécure même pour un lecteur assidu. Il vous est donc conseillé de régulièrement poser sur le papier vos idées et à vous questionner constamment sur vos raisonnements. De nombreux indices sont disséminés au travers des huit épisodes mais pas seulement. Vous pourrez également compter sur les TIPS, une entrée dans le menu regroupant de nombreuses informations parfois utiles ou encore sur les interludes séparant deux épisodes concomitants.
Troisièmement découvrir l’identité de Béatrice, une question capitale dont la réponse vous ouvrira la voie vers la compréhension de toute cette histoire. Théoriquement la réponse à cette question peut être trouvée au bout des quatre premiers épisodes. Néanmoins cette énigme est suffisamment cryptique pour que les lecteurs ne trouvent pas la réponse au terme de cette aventure. Pire, l’énigme est suffisamment absconse si bien qu’il est possible de construire des réponses différentes sans pour autant être fausses. Il appartiendra dès lors au joueur de savoir lire entre les lignes, de discerner le sens dans les circonvolutions, de saisir les métaphores et les allégories, et comprendre le double discours du récit.
Finalement, terminer une première fois Umineko n’est pas suffisant. Une fois avoir répondu à la deuxième et à la troisième question, il est intéressant de refaire entièrement l’histoire afin de constater toute la maestria de Ryūkishi07 mais surtout d’essayer de résoudre chaque jeu en ayant cette fois l’identité de Béatrice en tête. Un nouveau casse-tête aussi grisant que l’élaboration de théories lors de la première lecture.
Comme dit plus haut, l’histoire nous est principalement présentée du point de vue de Battler Ushiromiya. Si le premier épisode nous introduit à l’univers d’Umineko, le jeu ne commence véritablement qu’à partir du deuxième. Le jeu se rapproche d’une séance au tribunal où le camp des sorcières procède à un exposé liminaire et où Battler joue le rôle d’avocat de la Défense. L’analogie est acceptable mais finalement le jeu se rapproche davantage d’un jeu d’échecs, a fortiori quand l’œuvre y fait référence à de multiples reprises.
Comme dit précédemment, tout se résume à une confrontation entre la raison, la logique et la croyance, la magie. Les deux adversaires se battent à coup de raisonnement, d’hypothèses. Les armes sont autant de logiques spécieuses, d’arguments fallacieux, d’apagogies, de raison ou de logique pure, de probatio diabolica, de paradoxe d’Hempel, de logique modale aléthique, de chat de Schrödinger. La diégèse d’Umineko est ainsi assez permissive et se révèle un plaisant et jouissif terrain de jeu pour les logiciens, les sceptiques (au sens philosophique) ou encore pour les zététiciens. Affûtez vos rasoirs d’Ockham car vous ne violerez jamais autant l’énoncé « Entia non sunt multiplicanda praeter necessitatem ». Armez-vous de votre esprit critique le plus élaboré et d’une batterie d’arguments et soyez ouvert d’esprit ou de nombreuses possibilités vous passeront sous le nez et vous vous sentirez agréablement humilié, tancé pour votre suffisance intellectuelle.
Le terme « arme » ici n’est pas du tout galvaudé. Toutes ces créations de l’intellect citées plus haut blessent véritablement les sorcières. Chaque réponse acceptable (notez bien l’utilisation d’acceptable et non correcte) à une scène de crime est l’occasion d’asséner un coup. Le théâtre d’une scène de meurtre est l’occasion d’énoncer une hypothèse ou de demander une confirmation que Battler imposera de répéter à Béatrice. La répétition d’une sorcière est une validation au titre de vérité. Mais toute chose à valeur de vérité est une arme à double tranchant de la même manière qu’avancer une pièce sur l’échiquier peut acculer l’adversaire aussi bien que limiter nos propres déplacements, ce qui pourrait s’avérer fatal postérieurement. Comme le dit si bien Battler : « Checkmate ! »
Inspirations et références
L’œuvre d’Umineko est une marqueterie d’inspirations et de références diverses et variées. Comme déjà mentionné ci-dessus, l’une des inspirations les plus évidentes est sans nul doute le roman policier les « Dix petits nègres », référence du whodunit, d’Agatha Christie qui est cité à deux reprises dans le visual novel. Le parallèle entre l’enchaînement des meurtres ou encore l’épitaphe et la comptine sont autant d’éléments référentiels à l’œuvre de la maîtresse ès roman policier.
L’autre référence patente est le poème « Divine Comédie » de Dante Alighieri. À la manière de Dante, Battler poursuit un long périple au cours duquel il sera notamment guidé par Virgilia afin d’atteindre la vérité au sujet du cœur de Béatrice, comme Dante le sera par Virgile au travers de l’Enfer et du Purgatoire avant d’arriver au Paradis où il retrouvera sa bien-aimée Beatrice. On retrouve ainsi déjà trois références : Beatrice, Virgile et le Purgatoire. En effet, à la fin de l’épisode 1, Battler rejoint un « méta-monde » nommé Purgatorio. Mais les références à la Divine Comédie ne s’arrêtent pas là. La structure du Purgatoire se retrouve dans la construction des dix Crépuscules de l’épitaphe. Dante retrouve Beatrice à la dixième corniche comme Battler retrouve Béatrice lors du dixième crépuscule. Les « Sept Pieux » représentent les sept terrasses du Purgatoire et chaque terrasse représente un péché capital comme chacun des Sept Pieux. Les cercles magiques qui apparaissent à chaque nouveau crépuscule portent également le nom d’une des Sphères du Paradis comme par exemple le Premier Cercle de la Lune qui fait référence à la Première Sphère de la Lune. Au sujet du Paradis, Beatrice conduit Dante jusqu’au dixième ciel, l’Empyrée et le quitte à ce moment-là et Dante est une dernière fois guidé par Bernard de Clairvaux. Ce dernier adresse alors une prière à la Sainte Vierge et Dante finit par s’éteindre en Dieu, « l’Amour qui meut le ciel et les étoiles ». Une scène qui rappelle bien évidemment l’épisode 7 avec le personnage de Clair Vaux Bernardus. Tout comme Beatrice Portinari, surnommée Bice, Béatrice a également droit au surnom de Beato. Dans « Vita nuova », il est dit de « louer la dame », une injonction écrite que l’on retrouve en tant que troisième crépuscule de l’épitaphe. Virgile représente la Raison humaine (Limbo, premier cercle) et Beatrice représente la Révélation divine. Virgile guide Dante dans le Purgatoire et disparaît dans l’Enfer lorsque Beatrice devient son guide vers le Paradis. On retrouve dans certaines chansons et dans le visual novel la phrase « Sans amour, la vérité ne peut être vue » ce qui fait bien évidemment écho à la quête de Battler. Si Battler utilise la Raison et l’Amour, alors atteindra-t-il la Révélation. D’ailleurs, Dante apprend dans le Purgatoire que l’amour influence toutes les actions de l’Homme. Une constatation qui fait écho à une déclaration de Béatrice dans l’épisode 2 à propos d’un personnage. Le chiffre et les multiples de 3 sont des nombres « divins » et il y a neuf cercles en Enfer. Battler dispose également d’une « résistance anti-magie » qualifiée de « Endless Nine ». Dante était un chrétien et Battler porte un crucifix. L’ending de l’anime s’intitule « La divina tragedia ». Enfin, il existe deux Dante : le pèlerin qui éprouve le voyage de l’Enfer au Paradis et le poète qui s’adresse directement au lecteur tout comme le fait le méta-monde d’Umineko et le théâtre des différents jeux, ou tout simplement comme le fait Ryūkishi07 avec nous.
Umineko s’inspire également de traités ésotériques comme la Goetia du Lemegeton et du Pseudomonarchia daemonum pour le nom de quelques démons de l’œuvre. On pensera à Ronove, Furfur, Zepar ou encore Gaap. Il est d’ailleurs intéressant de s’arrêter sur ces quatre démons. Ronove a le pouvoir d’apporter la connaissance des langues et de la rhétorique, chose que le personnage d’Umineko ne manquera pas d’enseigner à Battler. Furfur et Zepar ont, entre autres choses, le pouvoir d’apporter l’amour et d’exacerber les passions, chose qu’ils ne manqueront pas de faire au cours de l’épisode 6. Enfin Gaap a le pouvoir, entre autres choses, de déclencher l’amour et la haine, et prend l’apparence d’un docteur devant des humains ce qui pourrait laisser penser qu’il est la manifestation des falsifications des autopsies de Nanjo.
Si l’influence d’Agatha Christie est prégnante dans Umineko, d’autres auteurs de roman policier ont laissé leur trace dans la construction de l’œuvre, nommément Ronald Knox et Willard Huntington Wright alias S.S. Van Dine. Ronald Knox donne son patronyme à l’inquisitrice Dlanor A. Knox mais également son décalogue, une sorte de registre de dix lois qui essaie de codifier l’âge d’or du roman d’enquête, que Dlanor utilisera comme arme contre les sorcières. S.S. Van Dine donne son nom à Willard H. Wright, l’inquisiteur du groupe SSVD et qui utilisera certaines des vingt règles de S.S. Van Dine. Il est également bon de préciser que l’écriture d’Umineko respecte ces règles. Umineko cite également Higurashi puisque Battler déclare l’avoir lu.
L’anime glisse une petite référence à quelques personnages d’un autre doujin game : Marisa, Alice, Sakuya et Reimu de Touhou.
Un peu plus subtil, on retrouve des références au jeu de tarot. Que ce soit dans les titres de certaines OST (« The First and the Last » ou « The Fool ») ou encore le prénom de Battler qui se réfère au Bateleur du tarot de Marseille. Il est dit que le bateleur contrefait les miracles et incarne le héraut du scepticisme, deux éléments qu’on retrouve bien dans le personnage de Battler. Mais le symbolisme ne s’arrête pas là. Le Fou représente le Premier et le Dernier, on l’appelle également le Mat ce qui ne manque pas de rappeler l’échec et mat du jeu d’échecs – Checkmate – déjà mentionné ; il représente également la perfection. Sur Wikipédia, l’on retrouve à propos du symbolisme du bateleur :
Enfin, dernier point à aborder, les différents lieux qui ont servi de base à la création de l’île de Rokkenjima. Plusieurs sites se sont occupés de faire les différentes comparaisons. Pour ceux qui ont déjà fait le visual novel ou vu l’adaptation en anime, vous pourrez retrouver quelques liens plus bas pour constater le niveau d’inspiration. Commençons par le Kyuu-Furukawa Teien (旧古河庭園), une résidence de style occidental, inspiré de l’aristocratie anglaise, située dans les jardins de Kyuu-Furukawa qui aura servi de base à tout l’extérieur de la maison des hôtes. Le jardin occidental, quant à lui, aura servi de référence au jardin des roses. Fait intéressant, on y trouve également un jardin japonais dont l’étang représente l’idéogramme 心 signifiant « kokoro » ou le cœur en français. Coïncidence ? Je ne crois pas. Deuxième bâtisse importante le Kyuu-Maeda Koushaku Tei (旧前田侯爵低) situé dans le parc de Komaba, pas très loin de l’université de Tokyo. Enfin le Bluff 18 Bakan, situé dans le jardin italien de Yamate, a servi de modèle pour l’intérieur de la maison principale et secondaire réservée aux invités. Voici quelques liens pour se faire une idée : ici, ici et là ou encore là.
Thèmes abordés
Umineko no Naku Koro ni est un profond discours socratique soigneusement élaboré par Ryūkishi07 au cours duquel le joueur impliqué plongera dans une intense introspection sur un concept fondamental des valeurs morales humaines. C’est bien simple, il est ici question de nous interroger sur le fondement et la nature même de la vérité. Qu’est-ce que la vérité ? Peut-il exister plusieurs vérités ? Si plusieurs vérités peuvent exister simultanément, peuvent-elles réellement coexister ? Ou deviennent-elles alors automatiquement des mensonges ? Une vérité est-elle forcément véridique ? La vérité importe-t-elle vraiment ? Peut-on vivre avec ou sans ? La vérité est-elle bien, est-elle bonne ? Doit-on l’atteindre ? Ce sont autant de questions auxquelles nous soumet l’œuvre de Ryūkishi07. Le lecteur ou le joueur se retrouve ici devant le questionnement de ses perceptions à l’instar du personnage de Battler. Qu’est-ce qui définit le vrai du faux et comment peut-on le distinguer ?
L’œuvre nous fait vivre une partie de cette épopée intellectuelle et philosophique par le truchement de Battler et nous fait quelques propositions éclairées à l’aulne de nos savoirs. Ainsi, à mesure que se déroulent les différents épisodes de l’histoire, Battler finit progressivement à douter des déclarations et des événements dont il est témoin ou qui lui sont rapportés si bien que cela le confine finalement à une forme de solipsisme (ou de pyrrhonisme même si j’en doute personnellement ici). On peut par ailleurs constater qu'en dépit d'une focalisation zéro, lecteur n'est pas omniscient. Cette posture peut rappeler à plus d’un titre le doute hyperbolique de Descartes, fondement du cogito (le fameux cogito ergo sum), mais l’analogie est rapidement invalidée puisque la proposition ne répond pas au fondement de la réalité absolue de la substance pensante de Descartes. Aussi, cette idée de solipsisme est rapidement remplacée par la raison du personnage de Battler ce qui le rapproche en définitive bien plus du rationalisme et dans une moindre mesure le scepticisme et le relativisme.
La rhétorique de l’œuvre va pourtant encore plus loin et l’on sent assez aisément que la pensée nietzschéenne est prégnante. On peut ainsi résumer assez bien le discours d’Umineko par l’aphorisme de Nietzsche : « Les faits n’existent pas, il n’y a que des interprétations. » Nietzsche considérait que la science elle-même était une interprétation : les vérités scientifiques résultent de simplifications, qui permettent aux hommes de se rassurer. Mais ces vérités ne peuvent décrire le réel dans sa complexité, dans sa mobilité, dans sa diversité, etc. Ainsi les hommes créent leurs valeurs. Ils préfèrent le bien au mal, la vérité à l’erreur, leurs instincts les contraignent à préférer la vérité et le bien. De la même manière, nos perceptions façonnent une vision du monde, une réalité, sans que celle-ci ne soit absolue. Tous ces biais déforment la Vérité et nous fourvoient dans sa quête. Sans inventer de nouvelles valeurs, nous versons dans le nihilisme. Cette idée fait directement écho au personnage d’Ange Ushiromiya. Mais le nihilisme s’illustre également d’une autre manière. Avec sa vision, Nietzsche s’opposait de facto aux principes de Platon (on pense notamment à l’allégorie de la caverne) qui rendait la vérité absolue, stable et universelle alors que le philosophe allemand considérait la réalité du monde comme en perpétuel changement et pétrie de contradictions. Nietzsche s’était escrimé à détruire les illusions des hommes tout comme Battler s’évertue à défaire les énigmes de Béatrice. Nietzsche s’opposait à la création d’un Dieu pour donner du sens aux choses et surtout aux souffrances ; cette idée est incarnée par la figure divine des sorcières et la lutte de Battler pour prouver leur inexistence.
Hormis le discours philosophique que tient Umineko, d’autres thèmes ont le mérite d’être traités. Ainsi le deuil est l’un des thèmes importants où l’on suit l’évolution touchante d’un personnage en particulier, du déni à l’acceptation, et dont la leçon devrait en aider plus d’un dans la vie de tous les jours. De même, l’œuvre traite également de l’étiologie et de l’ontogénèse de l’espoir et du désespoir et pose la question de savoir si l’espoir est finalement un péché, un poison et s’il réside dans le Mal. Enfin un sujet sémiologique sur la magie, qu’est-ce que la magie en fin de compte ? Ma réponse est peut-être naïve mais, à mes yeux, il s’agit tout simplement de l’Amour capable de voir au travers des apparences et des cœurs, de pardonner les mensonges et les erreurs, de comprendre et de croire puisque l’Amour transfigure tout.
Il doit sans doute y avoir d’autres thèmes, n’hésitez donc pas en parler.
Musique
Les musiques d' Umineko ont été créées par une variété d'artistes, aussi bien professionnels qu'amateurs, et par Dai, le compositeur de la plupart des musiques que l'on peut trouver dans Higurashi no Naku Koro ni kai, qui était aussi impliqué dans le projet en tant que directeur musical. Le générique de début des quatre premiers chapitres s'appelle "Umineko no Naku Koro ni" (うみねこのなく頃に?), composé et interprété par Akiko Shikata et qui est sorti au Comiket 74 le 15 août 2008, puis pour le grand public le 29 août 2008 chez Frontier Works. Le générique de début des chapitres d'Umineko no Naku Koro ni Chiru est "Occultics no Majo" (オカルティクスの魔女, Okarutikusu no Majo?) par Ayumu de Zwei, le générique des crédits de fin est quant à lui "Tsubasa: Hope" (翼~hope~) par Rekka Katakiri.
Adaptations
Suite au succès du visual novel, Umineko s’est décliné sous plusieurs formats : manga, anime, Drama CD, roman et même un show sur une webradio. L’adaptation anime compte 26 épisodes, recouvre les quatre premiers épisodes du VN et a été produite par le studio d’animation Deen, qui avait notamment réalisé l’adaptation du visual novel Higurashi no Naku Koro ni. Malheureusement, à la différence de l’adaptation d’Higurashi, le traitement d’Umineko se révèle désastreux et il ne faut pas la visionner à moins d’avoir déjà terminé le visual novel. L’adaptation en roman, quant à elle, est réalisée par Kodansha Box et se poursuit toujours ; elle compte actuellement treize volumes, retranscrit les événements jusqu’à la moitié de l’épisode 7 et devrait se conclure au seizième volume. Enfin l’édition de l’adaptation du manga revient à Square Enix et est l’œuvre de six artistes différents travaillant chacun sur l’un des arcs ; le manga compte neuf volumes au total. Il est néanmoins déconseillé de le lire en premier du fait qu’il distille beaucoup trop d’informations qui gâchent le travail d’enquête.
Umineko no Naku Koro ni (うみねこのなく頃に ou littéralement « Quand les Goélands/Mouettes Pleurent ») est une série de doujin game de type Visual Novel produite et éditée par le cercle amateur 07th Expansion et écrite par Ryūkishi07. Bien que le jeu appartienne au genre du Visual Novel, il est décrit comme un Sound Novel par 07th Expansion. Publié sur PC le 17 août 2007, lors du Comiket 72, le premier jeu intitulé Legend of the Golden Witch prélude à une série qui s’achèvera le 31 décembre 2010, lors du Comiket 79, sur le huitième épisode intitulé Twilight of the Golden Witch. La série s’est par ailleurs déclinée sous plusieurs formes dont le manga, le roman, l’anime et le Drama CD.
Précédé par Higurashi no Naku Koro ni et Higurashi no Naku Koro ni Kai, Umineko no Naku Koro ni est le troisième titre de la série. Il est également bon et nécessaire de préciser que, à l’instar d’Higurashi no Naku Koro ni, les huit épisodes qui composent Umineko sont divisés en deux titres de quatre épisodes chacun : Umineko no Naku Koro ni et Umineko no Naku Koro ni Chiru (うみねこのなく頃に散 ou littéralement « Quand les Goélands/Mouettes Pleurent : Dispersion »). En effet, les quatre premiers épisodes présentent le décor et introduisent le joueur aux mystères des meurtres commis sur l’île Rokkenjima et de la légende de la sorcière d’or ; de la même manière que les quatre premiers épisodes d’Higurashi, le joueur est confronté à de nombreux mystères et peu de réponses lui sont données ce qui l’oblige à forger ses propres théories. La seconde partie plonge au cœur des mystères, apporte des éléments de réponses aux questions levées dans les quatre premiers épisodes et continue l’histoire mais, à la différence d’Higurashi qui apportait des réponses, Chiru ne prodigue ici que des faisceaux d’indices sans jamais donner une réponse nette et précise aux grandes questions de l’œuvre. Il appartiendra donc au joueur seul de se faire une idée et tirer les bonnes conclusions.
Umineko no Naku Koro ni est un Visual Novel linéaire que l’on qualifiera de « passif », c’est-à-dire que le jeu se présentera principalement comme une suite de fenêtres de dialogues textuels où le joueur ne sera quasiment jamais sollicité, à l’exception du huitième épisode, et où chaque épisode est la suite du précédent, exit donc la narration dans un désordre chronologique. L’œuvre appartient à la littérature postmoderne et s’inscrit dans une pluralité de genres : romans policier, à suspense, fantastique, d’horreur, du thriller psychologique, à mystère, dramatique et « métafictif » saupoudrée de splatterpunk.
Histoire
En octobre 1986, la richissime famille Ushiromiya se réunit, comme chaque année, sur l’île de Rokkenjima, demeure du patriarche Kinzo Ushiromiya. Cette année est cependant particulière. En effet, Nanjo, le médecin de famille annonce qu’il ne reste plus que trois mois à vivre au patriarche. Cette réunion annuelle se déroulera alors sous le signe de la négociation du partage de l’héritage ainsi que sur l’élection du prochain chef de famille. En plus de la famille Ushiromiya, l’île est également habitée par quelques membres du personnel ainsi que Nanjo, portant le nombre d’habitants présents sur l’île à dix-huit personnes. Peu de temps après l’arrivée des membres de la famille, un typhon se déclare et isole l’île du reste du monde. L’île coupée de la civilisation, survient une étrange série d’événements et les morts se succèdent de façon inexplicable. Les meurtres sont alors imputés à la légendaire sorcière Béatrice (prononcé à l’italienne Béatritché), que l’on dit être la seconde maîtresse des lieux.
L’histoire nous est initialement contée au travers du personnage de Battler Ushiromiya, l’un des petits-fils de Kinzo. De par son rationalisme, il s’oppose de facto au caractère apparemment inexplicable des événements étranges qui frappent Rokkenjima ce qui ne manquera pas de susciter l’intérêt de Béatrice, principale antagoniste de l’histoire. De là, Battler et Béatrice se livreront un duel sous la forme d’un jeu où l’un devra prouver que les événements, qui se sont déroulés entre 4 et 5 octobre 1986, sont l’œuvre d’un ou des êtres humains et que tout peut être expliqué par la logique ; l’autre devra persuader son adversaire que tous ces meurtres sont dus à des événements surnaturels et par conséquent impossibles pour un humain.
L’objectif du jeu consiste donc à déterminer si les meurtres sont l’œuvre d’une entité surnaturelle ou d’un être humain ce qui donne lieu à duel métaphorique entre le roman policier/de mystère et le roman fantastique.
...あぁ、駄目だ全然駄目だ - Aa, dame da zenzen dame da
Umineko no Naku Koro ni est une véritable lettre d’amour, une ode au genre du roman d’enquête. Ryūkishi07 le transcende ici en incorporant des caractéristiques issues d’autres genres et rend hommage à ses muses. On pensera naturellement à Agatha Christie. Comme dit plus haut, l’œuvre opte pour une diégèse linéaire, il est ainsi simple de suivre le déroulement des événements. L’œuvre se veut également passive en ne sollicitant le joueur qu’à quelques rares moments. À titre de comparaison, des visual novels considérés comme actifs sont par exemple la série des Ace Attorney, Corpse Party, Zero Escape ou encore BlazBlue. Néanmoins, que l’œuvre soit passive n’implique absolument pas que le joueur soit inactif. En effet, Ryūkishi07, de la même manière que Béatrice, met au défi le joueur, l’invite à réfléchir, à émettre des hypothèses, à s’interroger si bien que le récit se transforme en une gymnastique mentale pour tout lecteur qui se prête à l’exercice. À vrai dire, le lecteur qui ne joue pas le jeu passe littéralement à côté de cette aventure quand bien même celle-ci reste appréciable, riche et incroyablement profonde.
Il incombera au joueur d’essayer de répondre à trois grandes questions tout au long des huit épisodes qui émaillent l’œuvre. Premièrement déchiffrer l’épitaphe, inscrite sous le tableau représentant Béatrice, donnant les coordonnées où se situe le fameux trésor du patriarche, trésor offert par Béatrice et dont la valeur s’élève à quelque dix milliards de yens. Autant vous le dire tout de suite, il vous sera pratiquement impossible de résoudre cette énigme. Même parmi les Japonais, pratiquement aucun d’entre eux n’a été capable d’y répondre, la faute à des jeux de mots subtils tant sémantiquement que graphiquement. Une connaissance profonde des kanjis est nécessaire pour comprendre les arcanes de cette énigme.
Deuxièmement résoudre l’enquête et déterminer qui est le coupable de cette série de meurtres. Encore une fois un exercice loin d’être une sinécure même pour un lecteur assidu. Il vous est donc conseillé de régulièrement poser sur le papier vos idées et à vous questionner constamment sur vos raisonnements. De nombreux indices sont disséminés au travers des huit épisodes mais pas seulement. Vous pourrez également compter sur les TIPS, une entrée dans le menu regroupant de nombreuses informations parfois utiles ou encore sur les interludes séparant deux épisodes concomitants.
Troisièmement découvrir l’identité de Béatrice, une question capitale dont la réponse vous ouvrira la voie vers la compréhension de toute cette histoire. Théoriquement la réponse à cette question peut être trouvée au bout des quatre premiers épisodes. Néanmoins cette énigme est suffisamment cryptique pour que les lecteurs ne trouvent pas la réponse au terme de cette aventure. Pire, l’énigme est suffisamment absconse si bien qu’il est possible de construire des réponses différentes sans pour autant être fausses. Il appartiendra dès lors au joueur de savoir lire entre les lignes, de discerner le sens dans les circonvolutions, de saisir les métaphores et les allégories, et comprendre le double discours du récit.
Finalement, terminer une première fois Umineko n’est pas suffisant. Une fois avoir répondu à la deuxième et à la troisième question, il est intéressant de refaire entièrement l’histoire afin de constater toute la maestria de Ryūkishi07 mais surtout d’essayer de résoudre chaque jeu en ayant cette fois l’identité de Béatrice en tête. Un nouveau casse-tête aussi grisant que l’élaboration de théories lors de la première lecture.
Ma chère ville natale, une rivière poissonneuse la traverse.
Toi qui cherches la Terre Dorée, descends son cours et cherche la clef.
Si tu descends son cours, tu trouveras un village.
Dans ce village, recherche le rivage que les deux t'indiqueront.
Là-bas repose la clef de la Terre Dorée.
Celui qui met la main sur la clef devra voyager en vertu des règles suivantes.
Au premier crépuscule, offre en sacrifice les six élus par la clef.
Au second crépuscule, les survivants devront séparer les deux qui sont proches.
Au troisième crépuscule, les survivants devront honorer mon nom à voix haute.
Au quatrième crépuscule, creuse la tête et tue.
Au cinquième crépuscule, creuse le buste et tue.
Au sixième crépuscule, creuse le ventre et tue.
Au septième crépuscule, creuse les genoux et tue.
Au huitième crépuscule, creuse les jambes et tue.
Au neuvième crépuscule, la sorcière sera ramenée à la vie et personne ne survivra.
Au dixième crépuscule, le voyage se terminera et tu atteindras la capitale où l'or demeure.
La sorcière honorera le sage et accordera quatre trésors.
L'un sera tout l'or de la Terre Dorée.
L'un sera la résurrection des âmes de tous les morts.
L'un sera la résurrection de l'amour perdu.
L'un sera le sommeil éternel de la sorcière.
Dors paisiblement, ma sorcière bien aimée, Béatrice.
繰り返す - Kurikaesu懐かしき、故郷を貫く鮎の川。
黄金郷を目指す者よ、これを下りて鍵を探せ。
川を下れば、やがて里あり。
その里にて二人が口にし岸を探れ。
そこに黄金郷への鍵が眠る。
鍵を手にせし者は、以下に従いて黄金郷へ旅立つべし。
第一の晩に、鍵の選びし六人を生贄に捧げよ。
第二の晩に、残されし者は寄り添う二人を引き裂け。
第三の晩に、残されし者は誉れ高き我が名を讃えよ。
第四の晩に、頭をえぐりて殺せ。
第五の晩に、胸をえぐりて殺せ。
第六の晩に、腹をえぐりて殺せ。
第七の晩に、膝をえぐりて殺せ。
第八の晩に、足をえぐりて殺せ。
第九の晩に、魔女は蘇り、誰も生き残れはしない。
第十の晩に、旅は終わり、黄金の郷に至るだろう。
魔女は賢者を讃え、四つの宝を授けるだろう。
一つは、黄金郷の全ての黄金。
一つは、全ての死者の魂を蘇らせ。
一つは、失った愛すらも蘇らせる。
一つは、魔女を永遠に眠りにつかせよう。
安らかに眠れ、我が最愛の魔女ベアトリーチェ。
Comme dit plus haut, l’histoire nous est principalement présentée du point de vue de Battler Ushiromiya. Si le premier épisode nous introduit à l’univers d’Umineko, le jeu ne commence véritablement qu’à partir du deuxième. Le jeu se rapproche d’une séance au tribunal où le camp des sorcières procède à un exposé liminaire et où Battler joue le rôle d’avocat de la Défense. L’analogie est acceptable mais finalement le jeu se rapproche davantage d’un jeu d’échecs, a fortiori quand l’œuvre y fait référence à de multiples reprises.
Comme dit précédemment, tout se résume à une confrontation entre la raison, la logique et la croyance, la magie. Les deux adversaires se battent à coup de raisonnement, d’hypothèses. Les armes sont autant de logiques spécieuses, d’arguments fallacieux, d’apagogies, de raison ou de logique pure, de probatio diabolica, de paradoxe d’Hempel, de logique modale aléthique, de chat de Schrödinger. La diégèse d’Umineko est ainsi assez permissive et se révèle un plaisant et jouissif terrain de jeu pour les logiciens, les sceptiques (au sens philosophique) ou encore pour les zététiciens. Affûtez vos rasoirs d’Ockham car vous ne violerez jamais autant l’énoncé « Entia non sunt multiplicanda praeter necessitatem ». Armez-vous de votre esprit critique le plus élaboré et d’une batterie d’arguments et soyez ouvert d’esprit ou de nombreuses possibilités vous passeront sous le nez et vous vous sentirez agréablement humilié, tancé pour votre suffisance intellectuelle.
Le terme « arme » ici n’est pas du tout galvaudé. Toutes ces créations de l’intellect citées plus haut blessent véritablement les sorcières. Chaque réponse acceptable (notez bien l’utilisation d’acceptable et non correcte) à une scène de crime est l’occasion d’asséner un coup. Le théâtre d’une scène de meurtre est l’occasion d’énoncer une hypothèse ou de demander une confirmation que Battler imposera de répéter à Béatrice. La répétition d’une sorcière est une validation au titre de vérité. Mais toute chose à valeur de vérité est une arme à double tranchant de la même manière qu’avancer une pièce sur l’échiquier peut acculer l’adversaire aussi bien que limiter nos propres déplacements, ce qui pourrait s’avérer fatal postérieurement. Comme le dit si bien Battler : « Checkmate ! »
Inspirations et références
L’œuvre d’Umineko est une marqueterie d’inspirations et de références diverses et variées. Comme déjà mentionné ci-dessus, l’une des inspirations les plus évidentes est sans nul doute le roman policier les « Dix petits nègres », référence du whodunit, d’Agatha Christie qui est cité à deux reprises dans le visual novel. Le parallèle entre l’enchaînement des meurtres ou encore l’épitaphe et la comptine sont autant d’éléments référentiels à l’œuvre de la maîtresse ès roman policier.
L’autre référence patente est le poème « Divine Comédie » de Dante Alighieri. À la manière de Dante, Battler poursuit un long périple au cours duquel il sera notamment guidé par Virgilia afin d’atteindre la vérité au sujet du cœur de Béatrice, comme Dante le sera par Virgile au travers de l’Enfer et du Purgatoire avant d’arriver au Paradis où il retrouvera sa bien-aimée Beatrice. On retrouve ainsi déjà trois références : Beatrice, Virgile et le Purgatoire. En effet, à la fin de l’épisode 1, Battler rejoint un « méta-monde » nommé Purgatorio. Mais les références à la Divine Comédie ne s’arrêtent pas là. La structure du Purgatoire se retrouve dans la construction des dix Crépuscules de l’épitaphe. Dante retrouve Beatrice à la dixième corniche comme Battler retrouve Béatrice lors du dixième crépuscule. Les « Sept Pieux » représentent les sept terrasses du Purgatoire et chaque terrasse représente un péché capital comme chacun des Sept Pieux. Les cercles magiques qui apparaissent à chaque nouveau crépuscule portent également le nom d’une des Sphères du Paradis comme par exemple le Premier Cercle de la Lune qui fait référence à la Première Sphère de la Lune. Au sujet du Paradis, Beatrice conduit Dante jusqu’au dixième ciel, l’Empyrée et le quitte à ce moment-là et Dante est une dernière fois guidé par Bernard de Clairvaux. Ce dernier adresse alors une prière à la Sainte Vierge et Dante finit par s’éteindre en Dieu, « l’Amour qui meut le ciel et les étoiles ». Une scène qui rappelle bien évidemment l’épisode 7 avec le personnage de Clair Vaux Bernardus. Tout comme Beatrice Portinari, surnommée Bice, Béatrice a également droit au surnom de Beato. Dans « Vita nuova », il est dit de « louer la dame », une injonction écrite que l’on retrouve en tant que troisième crépuscule de l’épitaphe. Virgile représente la Raison humaine (Limbo, premier cercle) et Beatrice représente la Révélation divine. Virgile guide Dante dans le Purgatoire et disparaît dans l’Enfer lorsque Beatrice devient son guide vers le Paradis. On retrouve dans certaines chansons et dans le visual novel la phrase « Sans amour, la vérité ne peut être vue » ce qui fait bien évidemment écho à la quête de Battler. Si Battler utilise la Raison et l’Amour, alors atteindra-t-il la Révélation. D’ailleurs, Dante apprend dans le Purgatoire que l’amour influence toutes les actions de l’Homme. Une constatation qui fait écho à une déclaration de Béatrice dans l’épisode 2 à propos d’un personnage. Le chiffre et les multiples de 3 sont des nombres « divins » et il y a neuf cercles en Enfer. Battler dispose également d’une « résistance anti-magie » qualifiée de « Endless Nine ». Dante était un chrétien et Battler porte un crucifix. L’ending de l’anime s’intitule « La divina tragedia ». Enfin, il existe deux Dante : le pèlerin qui éprouve le voyage de l’Enfer au Paradis et le poète qui s’adresse directement au lecteur tout comme le fait le méta-monde d’Umineko et le théâtre des différents jeux, ou tout simplement comme le fait Ryūkishi07 avec nous.
Umineko s’inspire également de traités ésotériques comme la Goetia du Lemegeton et du Pseudomonarchia daemonum pour le nom de quelques démons de l’œuvre. On pensera à Ronove, Furfur, Zepar ou encore Gaap. Il est d’ailleurs intéressant de s’arrêter sur ces quatre démons. Ronove a le pouvoir d’apporter la connaissance des langues et de la rhétorique, chose que le personnage d’Umineko ne manquera pas d’enseigner à Battler. Furfur et Zepar ont, entre autres choses, le pouvoir d’apporter l’amour et d’exacerber les passions, chose qu’ils ne manqueront pas de faire au cours de l’épisode 6. Enfin Gaap a le pouvoir, entre autres choses, de déclencher l’amour et la haine, et prend l’apparence d’un docteur devant des humains ce qui pourrait laisser penser qu’il est la manifestation des falsifications des autopsies de Nanjo.
Si l’influence d’Agatha Christie est prégnante dans Umineko, d’autres auteurs de roman policier ont laissé leur trace dans la construction de l’œuvre, nommément Ronald Knox et Willard Huntington Wright alias S.S. Van Dine. Ronald Knox donne son patronyme à l’inquisitrice Dlanor A. Knox mais également son décalogue, une sorte de registre de dix lois qui essaie de codifier l’âge d’or du roman d’enquête, que Dlanor utilisera comme arme contre les sorcières. S.S. Van Dine donne son nom à Willard H. Wright, l’inquisiteur du groupe SSVD et qui utilisera certaines des vingt règles de S.S. Van Dine. Il est également bon de préciser que l’écriture d’Umineko respecte ces règles. Umineko cite également Higurashi puisque Battler déclare l’avoir lu.
L’anime glisse une petite référence à quelques personnages d’un autre doujin game : Marisa, Alice, Sakuya et Reimu de Touhou.
Un peu plus subtil, on retrouve des références au jeu de tarot. Que ce soit dans les titres de certaines OST (« The First and the Last » ou « The Fool ») ou encore le prénom de Battler qui se réfère au Bateleur du tarot de Marseille. Il est dit que le bateleur contrefait les miracles et incarne le héraut du scepticisme, deux éléments qu’on retrouve bien dans le personnage de Battler. Mais le symbolisme ne s’arrête pas là. Le Fou représente le Premier et le Dernier, on l’appelle également le Mat ce qui ne manque pas de rappeler l’échec et mat du jeu d’échecs – Checkmate – déjà mentionné ; il représente également la perfection. Sur Wikipédia, l’on retrouve à propos du symbolisme du bateleur :
Tout ceci fait immanquablement penser au personnage de Battler et à sa progression jusqu’à la vérité qui se cache derrière ces meurtres et Béatrice. D’un point de vue iconographique, le Bateleur porte un chapeau en forme de lemniscate, symbole de l’éternel recommencement qui fait naturellement penser aux cycles qu’il vit au cours de l’aventure. Mais il manque encore quelques éléments relatifs au fou. Il est dit notamment que ce dernier recherche et estime la beauté, encore un trait de caractère de Battler. Le fou est également accompagné souvent par un chien, représentant tantôt ses instincts primaires tantôt l’appel du monde réel. Ce dernier point fait inévitablement penser à Ange.Un jour, on ne sait pourquoi, le zéro, le mat, le fou, sort de sa coquille de son cercle et de sa perfection pour s'incarner. Il devient le chiffre 1, l'unité, l'être premier l'apparence première de toute chose. C'est la naissance.
Cette carte représente un être encore absorbé par les apparences et les illusions. Le bateleur est la jeunesse créative, l'innocence infantile, la spontanéité, la verdeur, mais aussi le manque de profondeur et d'expérience. C'est aussi l'idée première, le surgissement avant l'œuvre, ce qui est beau en apparence mais qui doit passer par tout le cycle des tarots pour devenir « le monde » (le dernier arcane majeur). Cette lame marque le tout premier pas.
Cette lame est aussi puissance en tant que possibilité de toute unité. N'être qu'un, c'est être encore entier, ne pas avoir été divisé par la confrontation avec la réalité ; être enfant c'est encore être innocent, pas encore contaminé par les complexités de la vie adulte. C'est la promesse du futur, celle de l'idée créatrice pure, idéale, potentielle, mais non réalisé, transmuté : tout est à faire, à découvrir et à apprendre.
Ainsi le bateleur est la jeunesse et le premier pas dans la vie, l'abondance d'idées, et les vues nouvelles sur les choses. Cet arcane signe aussi le manque de profondeur et la nécessité de la transmutation alchimique du « jeune-initié-qui-parle-beaucoup » (qui ne connaît qu'en apparence, inexpérimenté). Dans d'autres versions du tarot, le bateleur est souvent représenté comme Hermès, ou Mercure, soulignant le côté initiatique de cette lame : l'accès au savoir secret, hermétique.
On remarque également l'alternance des couleurs de son habit qui témoigne de l'indécision, du chaos primordial, où toutes les pensées et actions s'enchaînent de manière désordonnée, tel un esprit encore sauvage qui passe d'une pensée et d'une émotion à une autre, tel un singe sautant d'arbre en arbre. Le chemin futur jusqu'au monde (arcane XXI) sera cette quête vers l'harmonie, la conscience et la réalisation de l'être (la "bodhicitta", diraient les bouddhistes).
Sur la table sont également disposés une besace ouverte, symbole de réceptacle, d'avidité de savoir et des dés jaunes représentant la part d'irrationnel, de chance, mais également l'aspect ludique : la vie est comme un jeu – à nous d'en déchiffrer les règles et d'en découvrir le but.
Sa position corporelle démontre que c'est une lame active (il est debout) mais indécise (ses pieds vont à droite et à gauche). Son regard va vers le passé (à gauche), car l'initié se pose avant tout la question "d'où viens-je ?". Toutes les clés de son avenir sont dans son antériorité. On peut y lire soit une référence au karma (loi de cause à effet) qui détermine le présent, soit une référence à la question des origines, chère aux psychologues.
Carte éminemment positive, puisqu'elle signe le renouveau, le départ. Mais comme tout départ, c'est aussi le commencement d'une nouvelle chose, où il n'y a que ouï-dire, et pas d'expérience ; où tout est à faire, tout n'est encore que promesse, idée, rêve, fantasme et parole.
Enfin, dernier point à aborder, les différents lieux qui ont servi de base à la création de l’île de Rokkenjima. Plusieurs sites se sont occupés de faire les différentes comparaisons. Pour ceux qui ont déjà fait le visual novel ou vu l’adaptation en anime, vous pourrez retrouver quelques liens plus bas pour constater le niveau d’inspiration. Commençons par le Kyuu-Furukawa Teien (旧古河庭園), une résidence de style occidental, inspiré de l’aristocratie anglaise, située dans les jardins de Kyuu-Furukawa qui aura servi de base à tout l’extérieur de la maison des hôtes. Le jardin occidental, quant à lui, aura servi de référence au jardin des roses. Fait intéressant, on y trouve également un jardin japonais dont l’étang représente l’idéogramme 心 signifiant « kokoro » ou le cœur en français. Coïncidence ? Je ne crois pas. Deuxième bâtisse importante le Kyuu-Maeda Koushaku Tei (旧前田侯爵低) situé dans le parc de Komaba, pas très loin de l’université de Tokyo. Enfin le Bluff 18 Bakan, situé dans le jardin italien de Yamate, a servi de modèle pour l’intérieur de la maison principale et secondaire réservée aux invités. Voici quelques liens pour se faire une idée : ici, ici et là ou encore là.
Thèmes abordés
Umineko no Naku Koro ni est un profond discours socratique soigneusement élaboré par Ryūkishi07 au cours duquel le joueur impliqué plongera dans une intense introspection sur un concept fondamental des valeurs morales humaines. C’est bien simple, il est ici question de nous interroger sur le fondement et la nature même de la vérité. Qu’est-ce que la vérité ? Peut-il exister plusieurs vérités ? Si plusieurs vérités peuvent exister simultanément, peuvent-elles réellement coexister ? Ou deviennent-elles alors automatiquement des mensonges ? Une vérité est-elle forcément véridique ? La vérité importe-t-elle vraiment ? Peut-on vivre avec ou sans ? La vérité est-elle bien, est-elle bonne ? Doit-on l’atteindre ? Ce sont autant de questions auxquelles nous soumet l’œuvre de Ryūkishi07. Le lecteur ou le joueur se retrouve ici devant le questionnement de ses perceptions à l’instar du personnage de Battler. Qu’est-ce qui définit le vrai du faux et comment peut-on le distinguer ?
L’œuvre nous fait vivre une partie de cette épopée intellectuelle et philosophique par le truchement de Battler et nous fait quelques propositions éclairées à l’aulne de nos savoirs. Ainsi, à mesure que se déroulent les différents épisodes de l’histoire, Battler finit progressivement à douter des déclarations et des événements dont il est témoin ou qui lui sont rapportés si bien que cela le confine finalement à une forme de solipsisme (ou de pyrrhonisme même si j’en doute personnellement ici). On peut par ailleurs constater qu'en dépit d'une focalisation zéro, lecteur n'est pas omniscient. Cette posture peut rappeler à plus d’un titre le doute hyperbolique de Descartes, fondement du cogito (le fameux cogito ergo sum), mais l’analogie est rapidement invalidée puisque la proposition ne répond pas au fondement de la réalité absolue de la substance pensante de Descartes. Aussi, cette idée de solipsisme est rapidement remplacée par la raison du personnage de Battler ce qui le rapproche en définitive bien plus du rationalisme et dans une moindre mesure le scepticisme et le relativisme.
La rhétorique de l’œuvre va pourtant encore plus loin et l’on sent assez aisément que la pensée nietzschéenne est prégnante. On peut ainsi résumer assez bien le discours d’Umineko par l’aphorisme de Nietzsche : « Les faits n’existent pas, il n’y a que des interprétations. » Nietzsche considérait que la science elle-même était une interprétation : les vérités scientifiques résultent de simplifications, qui permettent aux hommes de se rassurer. Mais ces vérités ne peuvent décrire le réel dans sa complexité, dans sa mobilité, dans sa diversité, etc. Ainsi les hommes créent leurs valeurs. Ils préfèrent le bien au mal, la vérité à l’erreur, leurs instincts les contraignent à préférer la vérité et le bien. De la même manière, nos perceptions façonnent une vision du monde, une réalité, sans que celle-ci ne soit absolue. Tous ces biais déforment la Vérité et nous fourvoient dans sa quête. Sans inventer de nouvelles valeurs, nous versons dans le nihilisme. Cette idée fait directement écho au personnage d’Ange Ushiromiya. Mais le nihilisme s’illustre également d’une autre manière. Avec sa vision, Nietzsche s’opposait de facto aux principes de Platon (on pense notamment à l’allégorie de la caverne) qui rendait la vérité absolue, stable et universelle alors que le philosophe allemand considérait la réalité du monde comme en perpétuel changement et pétrie de contradictions. Nietzsche s’était escrimé à détruire les illusions des hommes tout comme Battler s’évertue à défaire les énigmes de Béatrice. Nietzsche s’opposait à la création d’un Dieu pour donner du sens aux choses et surtout aux souffrances ; cette idée est incarnée par la figure divine des sorcières et la lutte de Battler pour prouver leur inexistence.
Hormis le discours philosophique que tient Umineko, d’autres thèmes ont le mérite d’être traités. Ainsi le deuil est l’un des thèmes importants où l’on suit l’évolution touchante d’un personnage en particulier, du déni à l’acceptation, et dont la leçon devrait en aider plus d’un dans la vie de tous les jours. De même, l’œuvre traite également de l’étiologie et de l’ontogénèse de l’espoir et du désespoir et pose la question de savoir si l’espoir est finalement un péché, un poison et s’il réside dans le Mal. Enfin un sujet sémiologique sur la magie, qu’est-ce que la magie en fin de compte ? Ma réponse est peut-être naïve mais, à mes yeux, il s’agit tout simplement de l’Amour capable de voir au travers des apparences et des cœurs, de pardonner les mensonges et les erreurs, de comprendre et de croire puisque l’Amour transfigure tout.
Il doit sans doute y avoir d’autres thèmes, n’hésitez donc pas en parler.
Musique
Les musiques d' Umineko ont été créées par une variété d'artistes, aussi bien professionnels qu'amateurs, et par Dai, le compositeur de la plupart des musiques que l'on peut trouver dans Higurashi no Naku Koro ni kai, qui était aussi impliqué dans le projet en tant que directeur musical. Le générique de début des quatre premiers chapitres s'appelle "Umineko no Naku Koro ni" (うみねこのなく頃に?), composé et interprété par Akiko Shikata et qui est sorti au Comiket 74 le 15 août 2008, puis pour le grand public le 29 août 2008 chez Frontier Works. Le générique de début des chapitres d'Umineko no Naku Koro ni Chiru est "Occultics no Majo" (オカルティクスの魔女, Okarutikusu no Majo?) par Ayumu de Zwei, le générique des crédits de fin est quant à lui "Tsubasa: Hope" (翼~hope~) par Rekka Katakiri.
Suite au succès du visual novel, Umineko s’est décliné sous plusieurs formats : manga, anime, Drama CD, roman et même un show sur une webradio. L’adaptation anime compte 26 épisodes, recouvre les quatre premiers épisodes du VN et a été produite par le studio d’animation Deen, qui avait notamment réalisé l’adaptation du visual novel Higurashi no Naku Koro ni. Malheureusement, à la différence de l’adaptation d’Higurashi, le traitement d’Umineko se révèle désastreux et il ne faut pas la visionner à moins d’avoir déjà terminé le visual novel. L’adaptation en roman, quant à elle, est réalisée par Kodansha Box et se poursuit toujours ; elle compte actuellement treize volumes, retranscrit les événements jusqu’à la moitié de l’épisode 7 et devrait se conclure au seizième volume. Enfin l’édition de l’adaptation du manga revient à Square Enix et est l’œuvre de six artistes différents travaillant chacun sur l’un des arcs ; le manga compte neuf volumes au total. Il est néanmoins déconseillé de le lire en premier du fait qu’il distille beaucoup trop d’informations qui gâchent le travail d’enquête.
Umineko no Naku Koro ni ne vous laissera pas indifférent !